Bornéo, histoire d'un génocide écologique...

Bornéo  l'ile des records…

Située en plein sur la ligne de l'équateur, Bornéo est la plus grande ile de l'Archipel Indonésien. Avec une superficie de 743 330 km2, elle est la troisième ile de la planète après le Groenland et la Nouvelle-Guinée. A titre de comparaison, c'est un territoire aussi vaste que la France métropolitaine et la Guyane française réunies. Elle est divisée entre trois pays : Le Sultanat de Brunei, la Malaisie au nord constituée des provinces du Sabah et du Sarawak, et la province Indonésienne de Kalimantan occupant la plus grande partie au Sud, avec un territoire couvrant 539 000 km2. Bornéo est peuplé de 12,5 millions d'habitants composant différentes ethnies d'origine malayo-polynésienne. Outre la langue officielle, on y parle plus de 161 dialectes différents, sans compter les divers formes de malais !

A l'égal du bassin Amazonien et de la Nouvelle Guinée, Bornéo abrite une des trois dernières grandes forêt primaire, c'est à dire non transformée par l'homme, de type tropical. C'est une jungle dense avec une haute végétation arborée dont la canopée culmine entre 30 et 60 mètres de haut.

Une biodiversité unique au monde

Comme tout écosystème disposant d'un climat chaud et humide tout au long de l'année, il abrite 70% des espèces végétales connues. Un véritable réservoir du vivant quand on sait que la plupart sont encore à découvrir. Pas étonnant d'y trouver une des plus grande concentration d'insectes, d'oiseaux et d'animaux parmi lesquelles beaucoup d'espèces endémiques : calaos, marabouts, aigles,  antilopes, loris, cerfs, biches, varans et dragons de Komodo, ours malais, panthères, tigres, éléphants pygmées, phacochères, rhinocéros à poils, écureuils et lémures volants, crocodiles marins et de rivières, plus de 150 espèces de serpents…


Impossible de dresser ici une liste complète tellement elle est impressionnante. Mais l'esquisse ne vaudrait rien sans y ajouter une des plus formidable concentration d'espèces de singes : Langurs, Nasiques, Macaques à Queue de Cochon et Macaques Crabiers, Orangs Outans et Gibbons (ou Siamangs). Ces deux dernières faisant partie de la famille des hominidés qui compte d'autres grands singes anthropoïdes Africains tels que le Gorille, le Chimpanzé et le Bonobo, avec lequel nous partageons 99,4% de notre code génétique.

Le plus important taux de déforestation de la planète

Toutes les 10 secondes, une superficie de forêt équivalente à un terrain de football disparaît en Indonésie.  Difficile à concevoir mais ce chiffre n'est pas exagéré. Et pour cause. Pour une entreprise qui rase une forêt et plante des palmiers à huile, le gain est double : la vente de bois d'un côté, la production d'huile de palme de l'autre. En 2004 , les premiers servis  étaient : l'Europe (4,4 MT/an), la Chine  (4,3MT/an) suivis par les Etats-Unis.

Le feu est le premier instrument de déforestation à Bornéo. Les observations satellites montrent que 20% de cette jungle (16 millions d'hectares) a déjà été touchée par les flammes ces dix dernières années. Quand la forêt brule, les formidables puits à carbone que représentent ses sols forestiers tourbeux brûlent également. A l'image de ce que l'on peut voir dans les mines de charbon, c'est une combustion lente asphyxiante et ravageuse qui peut agir en profondeur et durer des mois malgré la saison des pluies. La troisième plus grande source de pollution en CO2 (donc de gaz à effets de serre) de la planète, après celles dûes aux activités industriels des Etats Unis et de la Chine. Dans le cas de l'Indonésie, ce record n'est pas le fait des industries mais exclusivement aux feux allumés volontairement pour défricher la jungle... Ce qui est considérable !


Une plaie écologique

L'Huile de palme est à Bornéo ce que la culture du soja est au Brésil. L'Indonésie est devenue le leader mondial de la production d'huile de palme, avec plus de 7,5 millions d'hectares de plantations (deux fois la superficie des Pays Bas). Elle nécessite entre autres, l'emploi d'engrais, de pesticides et d'herbicides destructeurs comme le Paraquat - interdit en France et qui a déjà tué plus d'1 million de personnes dans le monde - produit par la multinationale suisse Syngenta, entreprise siégeant à la « respectable » Table Ronde sur le Palmier à Huile Durable (RSPO), vitrine de la bonne conscience industrielle auprès des consommateurs…

Le gouvernement Indonésien vient récemment d'allouer 20 millions d'hectares supplémentaires à l'extension de ces cultures au seul détriment de la forêt et de ceux qui y vivent, soit une surface équivalente à la Suisse, aux Pays-Bas et à l'Angleterre réunis. 35% de la jungle de Bornéo.

 A ce triste palmarès, la partie Malaise de Bornéo accroche macabrement la deuxième place, au prix de l'éradication de l'essentiel de sa forêt. Ne résident plus aujourd'hui que quelques maigres ilots disséminés de ci delà dans les états du Sabah et du Sarawak. Sans possibilité de communication d'un ilot de forêt à un autre, les espèces alors présentes ne disposent plus d'une population suffisante à leur renouvellement génétique. Pour retarder l'échéance, les hommes et les programmes de sauvegarde ont régulièrement mais artificiellement recours à des transferts d'individus de zone à zone. 

La Palme du malheur

A l'origine, l'huile de palme était une simple culture vivrière, c'est à dire utilisée par les populations locales pour subvenir à leurs besoins alimentaires. Aujourd'hui, les pays du Sud sont déficitaires en huile végétale pour leur propre alimentation. Du fait de son faible coût de production,  de son rendement et de sa forte rentabilité, l'huile de palme a attiré la convoitise des plus grandes banques et multinationales des pays du Nord. On l'utilise dans l'agroalimentation humaine et animale, la cosmétique et depuis peu l'industrie des agrocarburants, qui est de loin la plus ravageuse. C'est l'industrie la plus gourmande en matière première qui a fait s'envoler le cours sur le marché mondial, la rendant du coup encore plus rentable à produire mais désormais hors de prix pour les besoins des populations locales. Si rien n'est fait, cette dernière source de « bio »carburants signera d'ici à 2022 l'arrêt de mort de la jungle de Bornéo et de 98% de tout ce qui y vit.  (Source : rapport The Last Stand of the Orangutan, PNUE, 2007)

En 2008, l'Europe consacrait 1,9% de sa consommation totale aux agrocarburants. Dans 10 ans, l'objectif contraignant que s'est donné la Commission Européenne est d'attendre les 10%. La France souhaite pour sa part atteindre les 10% dans 5 ans. En 2008 elle a accordé 800 millions d'aides à la production de biodiesel et d'éthanol sous forme de défiscalisation.

La réalité d'une monoculture intensive

En terme d'empreinte écologique, c'est à dire en évaluant la surface nécessaire pour produire ce qu'un individu consomme à lui seul, on considère qu'en 2009, l'empreinte écologique en huile de palme d'un européen est de 25m2 d'une plantation. Pas mal... Mais que penser lorsqu'on sait qu'avec nos futurs besoins en biocarburants pour faire tourner nos moteurs, notre empreinte écologique par individu sera multipliée par 20 dans les 20 ans à venir ? Soit 500m2 de plantation par européen pour son seul confort personnel… autant dire une aberration face au sacrifice de toute forme de vie autre que des palmiers, des scorpions, des cobras, et quelques fourmis. Mais cette fois, la liste du vivant énoncée est définitivement exhaustive. Piégés sur des plantations de milliers d'hectares saturés d'herbicides chimiques, sans arbres ni source de nourriture, Orangs outans et autres survivants errent et meurent de faim quand ils ne sont pas torturés pour la plaisir par les hommes.

 

Un peu d'huile sur le feu… 

Concrètement, l'huile de palme dans nos assiettes, c'est quoi ?

61% des marques de chips, 54% des pâtes à tartes et à tartiner, 47 % des viennoiseries, 41% des biscuits apéritifs, 36% des soupes, 32% des pâtes à gâteaux et des biscottes, 26% des biscuits, 20% des plats cuisinés, 16% des céréales, 14% des sauces, 13% des glaces et des gâteaux, 11% des pâtes, sans compter les cosmétiques et détergents courants. En résumé 10%  des produits que l'on trouve dans nos supermarchés. (Résultats portant uniquement sur les produits contenant de façon certaine de l'huile de palme.) Voilà qui aide à appréhender l'empreinte écologique laissé par chaque européen décrite plus haut.


Pour l'industrie de l'huile de palme sont concernées de grandes enseignes et marques françaises telles que Pinault Printemps Redoute, Carrefour, Marque Repère Leclerc, Auchan, Monoprix, 1er prix, Danone, Vico, Herta, Nusticao, Nutella, Eco+, Epi D'or, Harry's, Jacquet, La Boulangère, Pasquier, Ancel, Lorenz Kambly, Liebig, Knorr, Maggi, Royco, Croustipate, Alsa, Heudebert, Roger Wasa, BN, Delacre, Lu, Brossart, Taillefine, Pidy, Quadro, Sodebo, Lustucru, Fleury Michon, Marie, Bonduelle, Regalatte, Daniel Dessaint traiteur, Jean Stalaven, Kellogg's, Jordan, Nestlé, Haagen-Dazs, Whiskas, Gilette, Sas Devineau ou  L'Oréal pour la cosmétique.

Pour la filière bois : Les mousquetaires (Bricomarché), Leroy Merlin, Saint Gobain Group (Point P, Lapeyre, Jewson, Raab Karcher, Dahl), Maison Coloniale et Pier Import.

Sans oublier de prestigieux investisseurs tels que ING Direct, Crédit Agricole, AXA, BNP Paribas , Vivendi Water, Natixis et la Société Générale. 

En l'espace d'une dizaine d'année l'huile de palme est devenue championne des huiles pour la consommation courante en Europe. Mais comme la mauvaise conscience du consommateur averti pourrait faire dérailler cette belle affaire juteuse, certains industriels n'hésitent pas à se réfugier derrière le secret de fabrication et font porter à leur étiquette la seule mention « huile végétale », « matière grasse végétale ».

L'industrie du bois et l'exploitation d'essences rares utilisent le bois pour la fabrication de notre mobilier moderne, cadres de lits, escaliers, bacs à fleurs, tables et chaises de bistrots, meubles de jardins, parquets, portes et fenêtres, ponts et boiseries des bateaux de plaisance et des paquebots, jusqu'au papier de certains magasines, livres  et journaux et aux baguettes jetables des restaurants asiatiques !

Echange mirage économique contre désastre écologique !

Tout comme pour le reste de la faune et de la flore, les conséquences de la coupe d'arbres sont dramatiques sur l'habitat des populations de singes. Notamment pour les orangs outans et les nasiques dont les principales ressources viennent des arbres. Ils s'en nourrissent et y font leurs nids, qu'ils se transmettent de génération en génération dans le cas des nasiques. Après les Etats-Unis et la Chine, l'Indonésie est devenu le troisième contributeur en gaz à effet de serre de la planète. Mais à la différence des deux autres, cette place n'est pas liée aux transports et à l'industrialisation galopante du pays mais au simple relâchement de gaz carbonique dus à la déforestation. De la Malaisie à Singapour, la pollution atmosphérique provenant de ces feux perturbe la vie des habitants et s'étend parfois à toute l'Asie du Sud est. Feux devenus trop souvent incontrôlables.

En 2002 et 2004, plus de la moitié des feux ont été provoqués dans des zones protégées. La coupe illégale du bois touche 37 des 41 parcs nationaux.

 

« Le jeu et la chandelle »…

Qu'on le veuille ou non, nous sommes tous liés à notre environnement. Nous lui devons la vie, celle de notre lignée, de nos aïeuls à nos descendants les plus lointains. Le jeu reste le même. Une poignée d'individus s'arroge encore le droit suprême et le « luxe » d'éradiquer purement et simplement un des plus riche et unique écosystème qui soit au nom d'une rentabilité, qui s'avèrera éphémère. Car en toile de fond se dresse déjà la chronique d'une autre catastrophe annoncée. Avec l'absence de forêt et donc d'humus, l'épuisement du sol naturellement pauvre en nutriments et soumis à une très forte érosion, sera imminente. Et sur un sol stérile, tout type de culture intensive ou vivrière à venir deviendra impossible. L'homme restant au bout de la chaine alimentaire, il n'en fait pas moins partie. Les conséquences et l'impact du désastre seront incalculables.


… avec l'Homme en ligne de mire

Pour le moment le mirage économique permet encore de donner le change. Il aide les industriels à remplir nos assiettes et celle des 3,5 millions d'indonésiens vivants de cette culture, à moindre frais. La main d'œuvre locale étant employée dans des conditions de travail dangereuses pour des salaires de misère. Mais pour combien de temps ? Combien de millions de chiffre d'affaire et de business sont statistiquement acceptables pour que le génocide soit justifié. Les répercussions seront irréversibles non seulement pour la faune et la flore mais également pour les populations locales et le climat mondial. En 2009, 60 à 90% de la population indonésienne dépend des ressources de la forêt pour se nourrir, se soigner ou construire son logement.  Sans la forêt et sa biodiversité, c'est toute une population qui est condamnée à être privée de ses moyens de subsistance et de son mode de vie traditionnel dans le seul but de satisfaire l'appât du gain et le confort relatif de quelques uns. A titre d'avertissement, retenons seulement que dans le monde, en l'espace d'un an entre 2007 et 2008, le nombre de personnes mourant de faim a augmenté de 9% passant de 850 à 925 millions d'individus…


Le pouvoir des consommateurs

Difficile d'accepter de revoir nos modes de consommation. Pourtant, appuyer des projets de ferroutage pour le transport de marchandises, réduire la vitesse ou contrôler ce que l'on consomme sont des reflexes simples et déjà efficaces. On oublie trop souvent que des consommateurs avertis peuvent avoir une influence considérable pour inverser la tendance lorsque cela devient une question d'image pour une entreprise. Un exemple récent est l'abandon progressif  des parabens au profit de substances plus naturelles. Sans le reflexe des consommateurs rien n'aurait bougé avant longtemps.

Tout comme la coupe du bois, il ne s'agit pas d'interdire la production ou le commerce de l'huile de palme, mais de le contrôler, en faisant par exemple évoluer la législation sur l'origine des ingrédients contenus dans ce que nous mangeons. Le palmier à huile a besoin de très peu d'eau pour se développer, encourager sa production sur des terres dégradées à la place de forêts est possible. Et pour les agrocarburants, encourager la culture du Jatropha, encore plus adaptable aux zones semi désertiques et aux conditions climatiques extrêmes, est une possibilité envisageable. Réduire les intrants chimiques (herbicides, engrais),  appuyer une gestion paysanne des terres cultivées pour assurer une répartition plus équitable des revenus. Autant de solutions viables qui, combinées peuvent donner de vrais résultats, mais dont la mise en œuvre ne dépend que de notre volonté...

M.K.

Photos : P.R. & M.K.


Pour en savoir plus en video :

http://www.greenthefilm.org




02/05/2010
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